La pièce
Ils habitent là depuis plus de vingt ans. Après une quinzaine d'années, ils ont pu acheter le petit appartement collé au petit qui leur appartenait déjà, fait de brics et de brocs, de mezzanines et de placards collés au plafond. Mélange de bricolages et de service en argent, l'épouse descend d'une grande famille, elle a renié ses origines mais a conservé les bijoux. L'époux décide soudain de refaire leur chambre, c'est une sorte de sursaut que l'on observe souvent chez les couples dont les enfants ont quitté le nid, les laissant seuls dans un endroit jusqu'alors plus que vivant. Il s'est donc armé de décolleuses de papiers peints, de ponçeuses et autres attributs Kiloutouesques du bricoleur dominical. Sous les cinq couches de papiers divers, sous les tapisseries vieillies, une fêlure distincte semble dessiner les contours d'une cheminée. Il tapote. Miracle, ça sonne creux. Il se dit "mazette, voilà où je vais les installer, mes étagères !". Tout à son bonheur, il fait tomber la paroi, et part se rancarder au rayon planches et chignoles de Casto. Au moment de poser les étagères, quelle ne fût pas sa surprise quand il constate que le mur sonne - encore ! - creux. Il y a donc un vide et, par conséquent, un derrière. Un derrière qui n'est pas le dehors. Un derrière qui n'est pas non plus chez les voisins, pour la simple et bonne raison que de voisins il n'y a point, l'immeuble s'arrêtant là où l'histoire commence. L'homme, très réglo, et quelque peu esbaudi par cette aventure, part consulter le cadastre, avec une inquiétude teintée d'un rêve de gosse. Deviens-je fou ? Vais-je trouver un trésor ? Autant de questions s'entrechoquent fébrilement dans son esprit d'adulte raisonnable. Diantre. Le cadastre est formel : l'immeuble s'arrête après la chambre maritale. Il retourne chez lui. Son oreille ne le trompe pourtant pas (et l'homme est musicien, c'est dire s'il a confiance en son ouïe) : le son est définitivement creux. En avoir le coeur net. Pour cela, percer un trou. Il fait sombre, par ce petit orifice. Un rais de lumière, guère plus. Un léger souffle. Une pièce. Une pièce en plus. Une pièce secrète, celle des imaginations enfantines, le passage mystérieux, le livre de la bibliothèque qui dégage un escalier dans le château. Une pièce en plus, celle dont rêve tous les parisiens, celle dont n'osent plus rêver les parisiens, d'ailleurs. Une pièce sans belle au bois dormant, mais à l'abri des impôts locaux. Comme quoi, les parisiens sont de grands enfants. Enfin, presque.
Notez que ce récit est entièrement construit à base de faits réels et de produits issus de l'agriculture biologique.
Et la photo, qui n'a rien à voir avec le sujet (ah ?!) c'est encore une photo "ce week-end, j'étais là". La Normandie le dispute plutôt bien à la Bretagne, dans le genre. D'abord, les mouettes ont vachement plus de standing, et je ne connais pas grand monde qui me contredira sur ce point (en fait j'ose espérer que personne n'a franchement envie de rentrer dans le débat). Nous fêtions à coups de bières de haute voltige et de tartes splendides et de vieux rock les 25 ans de la cigogne, et ça c'est un événement avec des vrais accents, parce que si personne n'avait inventé la cigogne, l'Alsace aurait été nettement moins funky.
Et en parlant de pièce, courez voir L'école des femmes au théâtre de la Madeleine, parce que dans le genre "je reste sur le cul", ça se pose là. Encore bluffée par la capacité d'un homme à écrire des phrases aussi pleines de surprises, de piques, de virevoltes, de fraîcheur. Si Monsieur Molière était encore là, je me demande quel écrit il nous sortirait à propos de la malheureusement probable loi sur l'immigration sélective qu'on nous mijote en hauts lieux.
Sinon, mea culpa, j'ai aujourd'hui été la créatrice d'une phrase improbable : "Il faudrait staraquiser l'univers graphique de Tomb Raider en fait là". On est vraiment capable de tout, et de n'importe quoi, en se forçant un peu. Le plus tragique est que j'étais complètement sérieuse. Arf.
- Tu fais quoi maintenant ?
- Là, je vais chez le psy.
- Excellent ! Je peux venir avec toi ?!
- ... ???
- Nan ?
- Euh... Chez le psy... avec moi ?
- Ahhhh merde, j'avais compris "piscine" !