Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras
C'est pas le tout d'être en vacances pour presque deux mois, il s'agit également de contenter un lectorat nombreux, puissant et influent, en vous refilant un texte écrit il y a trois ans, pour un concours lancé par "A nous Paris", et que j'ai bien entendu perdu. Mais je tenais à vous faire profiter de cette oeuvre enfouie, parce que les vacances ça sert aussi à désenfouir, nom d'une pipe.
Vous le constaterez aisément, on sent dans ces lignes toutes la jeunesse fougueuse de l'auteur, et on se marre, évidemment. En attendant, je retourne au rythme espagnol pour faire de la musique avec un forçat de l'informatique, en remerciant au passage l'hôtel d'à côté, qui n'a pas sécurisé son Wifi.
Et une petite photo pour vous rappeler qu'il n'y a qu'en France qu'il fait un temps de cochon.
«- Je t’aime.
- Pourquoi…
- Il y a besoin d’un « parce que » ?
- Pas d’un, Marc…
Je me lève. Il ne faut pas qu’il voie mon visage exaspéré, ça le fatigue. Tout le fatigue. Même de dire « parce que » plus sujet - verbe - compliment. On nous avertit rarement des envies d’homicide volontaire que peuvent susciter trois années de vie commune. Celui qui a dit que l’amour dure trois ans avait raison, le con.
Pendant que je réfléchis à travers la vitre – ce n’est pas la nuit qui porte conseil, c’est la vitre, sachez-le – le futur cadavre a déplié le Monde. Il prend son air concentré derrière son grand journal froissé. Quelle contenance ! C’est formidablement bien pensé, Le Monde. Au niveau sonore, j’entends. Impossible d’ignorer le lecteur du journal-qui-donne-l’estampille-intellectuelle, lorsqu’il se trouve à moins de 10 mètres, configuration spatiale que l’on retrouve fréquemment, à Paris. C’est un peu comme le label rouge, l’appellation d’origine contrôlée, version humaine. On ne peut pas se méprendre sur la marchandise, Monsieur lit le Monde ! Quand on choisit son futur époux dans le métro, ce sont des signes ostensibles de culture que l’on prend en considération. Que j’ai pris en considération, en tout cas. Quand Marc m’a abordée dans le métro, il avait bien remarqué que j’avais noté le coup du Monde. Moi 20 ans, sortant de la fac, lui 25.
- On se connaît, non ?
Et le pire, c’est qu’on se connaissait, effectivement. Déjà croisés en soirée. Zi anecdote racontée trente mille fois depuis… « Le coup du destin », comme il le poétise si bien, et puisque je m’appelle Amélie, forcément, je l’attendais plus ou moins, le bidule qui changerait ma vie.
Il m’a proposé de le rejoindre à une soirée au bois de Boulogne, et puis j’ai accepté, parce que j’avais l’âge où on est prête à accepter beaucoup de choses pour croire que la vie est un film, un roman, une chanson, un truc spécialement dédicacé à nous-mêmes, oui, si, promis, assurément. Une affaire de choix à mener rondement, et des coups du destin à reconnaître prestement. A priori, je n’étais pas douée pour les rondement et prestement sus-mentionnés.
On est allés à la soirée sur son scooter, je me sentais très Poulain, mais j’allais vite constater que j’étais plutôt classée dans la catégorie pouliche. Cette soirée, incroyable, un truc de branchés-friqués parisiens dont je me suis longtemps souvenue avec un sourire en coin. Marc a tenté de nouer des conversations intéressantes avec ses très nombreux amis, fais-moi passer ton CV demain, on s’appelle par nos initiales, c’est formidable, sympa, très sympa cette soirée.
Mémorable, en effet… Les hommes me regardaient, étonnés sans doute de ne pas m’avoir vue avant, surpris surtout de constater que Marc me connaissait, lui. Difficile de ne pas comprendre rapidement qu’il avait une réputation de looser. Ca me plaisait bien, ce concept, à l’époque. Les mecs qui ont des failles, les torturés intellectuels timides et patauds, ceux qu’on méprise dans les soirées que je méprise, ça me chavirait.
- Attention, la lune s’est posée sur votre bouche.
Je n’y crois pas. On ne peut pas sortir un truc pareil, c’est du trentième degré. Hésitante, je me retourne. Je lui souris vaguement. Il doit lire Le Monde, lui aussi, c’est inévitablement du trentième degré. Echange de regards. Il m’embarque avec sa tchatche, me propose moult breuvages, et dégote même un brugnon juteux qui me coule le long du cou, j’ai l’impression d’être une pub. Marc est penaud, il nous surveille du coin de l’œil. Le mec a la trentaine, il s’y connaît en blagues et compliments pour pouliches, il ne me lâche pas d’une semelle, il étale son compte en banque, fait briller ses dents et son esprit. Du grand Homme. Il me dit qu’il a envie de lécher l’intégralité de mon corps pendant au moins un mois. Juste ne faire que ça.
-Même pas une partie de tennis ?
-Même pas…
L’Homme n’a pas compris que ma robe échancrée ne recouvrait pas uniquement un entre-jambe prêt à l’emploi, mais également un cerveau capable d’ironie et d’humour glacé et sophistiqué. L’Homme est magnifiquement prévisible. Il cherche à m’embrasser. Je le repousse. C’est con, un homme. Ca joue le petit garçon effaré par votre beauté, ça reprend forme humaine quand ça vous fait esquisser un sourire, et là, inévitablement : « on tourne chérie, il faudrait penser à m’embrasser, j’ai réussi le grand chelem, là ». Vexé par mon refus, il change de tactique et déblatère sur Marc, joue la comparaison. J’attends qu’il sorte son engin, on va mesurer, ce sera rigolo.
Charmant. Tellement classe que je retourne vers Marc, fatiguée de ces jeux de séduction où le perdant est toujours le même : la nana qui croit que c’est pour elle, ces arrangements de compliments, alors que c’est un pack destiné à toutes celles qui sont potentiellement à d’autres, toutes celles qui donnent envie de baiser. Et à 20 ans, on est nombreuses.
C’est pour ça que j’avais choisi Marc. Pas de baratin. Pas de comparaison. Seulement, au bout de trois ans, le baratin commence à manquer cruellement. C’est ce que je lui dis, ce soir, quand je lui annonce que je pars avec un autre. Que j’ai envie d’être futile, superficielle, de jouer ce rôle pendant les quelques années où je suis encore potentiellement attirante. Que j’ai envie de profiter des émulations spirituelos-romantiques que je suscite chez l’autre. Que j’ai envie de rejouer les dés de son fameux « coup du destin ».
Blafard derrière son grand journal froissé qu’il tient de tous ses doigts crispés par le choc, il déglutit un grand coup avant de demander, d’une voix rocailleuse :
« -Qui ?
- Celui qui est capable de trouver dix mille « parce que » à la seconde.
- … Je le connais ?
- Oui… C’est toi, en mieux. »
3 Comments:
Il faut absolument que je nettoie mes vitres.
Bon, kess kiss pass icitte !
Bon, kess kiss pass icitte !??
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